Veillée bretonne

Publié le par jujudesforges

 

En ce soir du 26 avril 1923, la soirée était fraîche dans la campagne bretonne. Les voiliers armés pour la pêche à la morue, sont partis depuis plus d’un mois sur les bancs de Terre-Neuve. Parmi eux, "la chaumeuse ", goélette à trois mats appartenant aux armements Lemoine, commandé par le capitaine lefloc’h, retient toute l’attention de Marine. A son bord, se trouve Yann, son mari depuis de début de l’année, engagé comme matelot pour sa troisième campagne.

Marine sent un bouleversement en pensant à lui, ainsi que le changement qui s’opère à l’intérieur de son corps. En effet depuis quelques temps, elle ressent des nausées matinales et observe une modification de son organisme. Son cœur se charge de joie à l’idée d’annoncer, dans son prochain courrier, une bonne nouvelle à son époux. Un heureux événement s’annonce au retour de la campagne. Marie vit avec son beau-père, Alfred, surnommé le père Fred avec plus de 30 campagnes sur les bancs. Tous deux attendent les visiteurs pour la traditionnelle veillée du vendredi soir.

Marine se fait une joie, d’accueillir pour la toute première fois ses voisines, qui tout comme elle, partagent le même sort, à savoir, leur époux en mer. Depuis quelques heures, elle se démène devant l’âtre de la cheminée, préparant quelques galettes de blé noir pour ses invitées. Alfred lui, revient du cellier avec deux brocs, remplis de cidre qu’il vient de transvaser du tonneau, non sans s’être servi une petite bolée, pour la route comme il a l’habitude de le dire.

Vers 21 heures, les premières voisines commencent à pointer le bout de leur nez. Margot, accompagnée de sa fille. Charlotte et Irène avec leurs deux petits garçons. Finette, surnommée comme telle du fait de sa taille de guêpe, veuve depuis l’an dernier, se joint tout de même avec sa fille aux veillées. Chacune avec son ouvrage, tricot pour les unes, broderie pour l’autre et hardes à raccommodés pour les dernières. Les garçons se retrouvent à même le sol en terre battu, terrain privilégié pour une partie de billes. Seuls les deux filles, d’un âge un peu plus mûr, sont assises sur un des lits de coin à écouter les conversations et attendre que le conte du père Fred commence. Les flammes de la cheminée reflètent une lumière tamisée dans la pièce. Alfred, se racla bruyamment la gorge après avoir vidé son verre de goutte d’une seule traite. Tous les visages le regardaient à présent, même les garçons se sont arrêtés de jouer. L’histoire pouvait commencer. Alfred se mit à raconter comment au début du siècle dernier, un fermier qui se rendait à la foire de Rennes pour vendre sa plus belle vache se fit réveiller au matin par un passant allant dans la même direction, au pied du calvaire de la Croix plate, avec une lanière dans sa main, et une pierre de granit au bout de cette dernière. Toute l’assemblée retient son souffle, afin de ne rien perdre de la suite de l’histoire. Alfred, satisfait de son entrée en matière, se servit un deuxième verre de goutte qu’il avala avant de reprendre ou il s’était arrêté.

Donc le passant, intrigué par la situation, réveille le brave fermier, et lui demande pourquoi une pierre est accrochée au bout de sa lanière ?

Le fermier ne comprenant pas de suite la question, jeta un coup d’œil au bout de la sangle et surpris lui répond "mais je rêve, ou est donc passée ma vache ? 

Le passant lui demande également, "mon pauvre monsieur, pourquoi dormez-vous comme ça à même le sol.

A cette question, le fermier ne le savait pas et il se remémora son parcours de la nuit et se rappela. " Oui, je me souviens, maintenant, quand je suis arrivé au niveau du carrefour, j’y ai vu, un groupe d’hommes de petite taille, que j’avais pris de loin pour des enfants, qui dansaient autour de ce calvaire, au son d’une musique douce. Intrigué par la scène, je me suis arrêté pour leur parler.

Le passant lui demande " et que leurs avez vous dit ? ".

Tout simplement, "je leur ai demandé, que faites-vous en ces lieux, et à cette heure de la nuit ?".

Ils m’ont répondu "mais, on vous attend ".

Je n’ai pas compris du tout pourquoi, puisque je ne les avais jamais vus auparavant et je ne reconnaissais personne.

Dans la pièce, les enfants étaient toujours intrigués par la suite de l’histoire, les billes ne roulaient plus au sol et les jeunes filles étaient pendues aux lèvres d’Alfred. Seules les femmes, avaient repris leurs occupations en tendant une oreille vers l’orateur.

Alfred continua donc son histoire ou le fermier dit au passant.

" Donc, je leur demande pourquoi ils m’attendaient alors qu’on ne se connaissait pas, et ils m’ont répondu que c’était à propos de ma vache. " Etonné par ces propos, ma curiosité me poussa à demander "pourquoi ma vache " et là celui qui avait l’air d’être le chef me dit "nous sommes des lutins, amis des fées, et comme nous connaissons ta situation financière, nous avons le pouvoir de te rendre riche. " Les autres pendant ce temps dansaient toujours autour du calvaire et riaient à se tordre.

Le passant lui demande, "et vous l’avez cru ? ".

" Oui c’est vrai que ma situation financière n’est pas au plus beau et c’est pourquoi, j’emmenai ma plus belle vache à vendre " répond le fermier.

" Et par quel moyen, ils vous ont dit que vous seriez riche ? " continue à lui demander le passant.

Et le fermier répond, "ils m’ont dit que si je leur offrais ma vache, en me réveillant au matin, j’aurais une grosse pépite d’or à la place ".

Le passant éclata de rire et dit au fermier, "mon pauvre, ce ne sont pas des amis des fées que vous avez vus mais de vrais Korrigans. Vous voilà maintenant encore plus pauvre qu’avant ".

Sur cette phrase, les enfants et les femmes se mirent également à rire de cette histoire. Alfred conclue en disant, "comme quoi, il vaut mieux se contenter de ce qu’on a, au risque de tout perdre à en vouloir plus ".

Les femmes approuvèrent d’un geste de la tête. Les enfants eux commentèrent l’histoire avec leurs mots quand soudain, Marine s’écria "Yann, non " et s’effondra en larmes sur la table. Toute l’assemblée se tue et regarda la cheminée ou par trois fois, les flammes s’élevaient à plus d’un mètre du foyer. Alfred, consterné, posa sa main sur l’épaule de Marine et pour la rassurer, lui dit " cela ne veut rien dire, un courant d’air, sûrement " alors qu’en lui-même, il était persuadé que c’était un signe et qu’il était arrivé un malheur à son fils en mer. Les femmes avaient la même pensée mais, Finette dit à Marine "écoute, si tu veux, pour te rassurer, nous irons toutes demain à l’aube à la chapelle de Notre Dame du verger, brûler un cierge ". Le lendemain, elles arpentaient le chemin menant à la chapelle. A l’entrée, chacune dépose un cierge devant la statue de la Saint patronne des marins et le seul qui s’éteignit de suite était celui de Marine. Là, toutes savaient que Yann n’était plus. Une semaine plus tard, alors que Marie et ses voisines menaient la buée au lavoir, elles virent arriver vers eux, le recteur accompagné du maire. L’armateur venait juste d’avoir un télégramme du bateau hôpital. Yann a chavirer avec son patron de doris, Fanch, de Cancale, en allant poser les lignes, en pleine brume le soir du 26 avril 1923.

 

Publié dans Libre écriture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
V
Sympa l'histoire!!! A quand la suite? J'ai bcp aimé.Merci. Valou.
Répondre